La Chine fait main basse sur l’or : que cache cette frénésie d’achats ?
Une stratégie dorée au service de ses ambitions

Entre consommateurs en quête de sécurité et autorités soucieuses de renforcer leurs réserves stratégiques, la Chine multiplie les achats d’or à un rythme inédit.
Tandis que les particuliers se ruent sur le métal précieux, la banque centrale du pays accumule discrètement d’impressionnantes quantités de lingots. Résultat : les cours de l’or se sont envolés, atteignant un niveau record en octobre 2024.
La fièvre de l’or ne semble pas près de retomber. Plongez dans les ressorts d’une véritable obsession nationale, entre stratégies économiques, inquiétudes géopolitiques et réflexes de protection. Tous les montants sont en dollars US, sauf mention contraire.
Adaptation française par Aurélie Blain
L’insatiable appétit de la Chine pour l’or

La Chine achète de l’or en quantités impressionnantes. Selon le Conseil mondial de l’or, la République populaire de Chine a dépassé l’Inde en devenant en 2023 le plus grand consommateur mondial de ce métal précieux.
La demande en or d’investissement a bondi de 28 %, atteignant 280 tonnes, pour une valeur actuelle estimée à environ 22,9 milliards d’euros à sa valeur actuelle. La demande de bijoux en or a également grimpé de 10 %, atteignant les 630 tonnes.
En parallèle, la Banque centrale chinoise a acheté une quantité record de 735 tonnes (dont deux tiers auraient été acquis en secret, d’après l’expert numismate Jan Nieuwenhuijs), soit plus que toute autre banque centrale. À son cours actuel, ce stock impressionnant représente la somme colossale de 60 milliards d’euros.
Premier producteur et deuxième importateur d’or mondial

D’après les dernières statistiques de la Banque mondiale, la Chine est désormais le deuxième plus grand importateur mondial d’or non monétaire après la Suisse.
Le pays est également le premier producteur mondial de ce métal précieux, illustrant bien l’ampleur de la demande nationale.
La Gold Bullion Company estime la production annuelle d’or en Chine à 375 tonnes. La Russie se classe juste derrière avec 325 tonnes, suivie de l’Australie, du Canada et des États-Unis, qui en produisent respectivement 314, 195 et 173 tonnes par an.
Des prix atteignant des niveaux record

La fièvre de l’or chinoise a un impact considérable sur le cours de l’or au niveau mondial. En octobre, le prix de l’once (31 g) a atteint un sommet historique de 2 696 dollars (2 550 euros) et demeure élevé depuis lors.
Comme l’a souligné The New York Times, le cours de l’or a atteint un niveau sans précédent, et ce malgré un dollar américain fort et des taux d’intérêt élevés aux États-Unis, des conditions qui rendent habituellement cet investissement moins attrayant.
Selon le célèbre quotidien américain, « on a l’impression que le marché de l’or n’est plus dicté par des facteurs économiques, mais par les caprices des acheteurs et investisseurs chinois ».
La ruée vers l’or des consommateurs chinois face à la crise immobilière

La ruée vers l’or des consommateurs chinois intervient à un moment difficile pour l’économie du pays, et la crise du marché immobilier en est l’un des principaux moteurs.
L’immobilier est devenu l’investissement privilégié des Chinois au début des années 2000, après l’assouplissement des règles sur la propriété immobilière.
Cependant, la gigantesque bulle immobilière a fini par éclater en 2020, lorsque le gouvernement a décidé de sévir face à la spéculation immobilière effrénée. Les crédits immobiliers sont devenus plus difficiles à obtenir, les ventes ont chuté et les prix ont dégringolé sous l’effet d’un excès massif de logements. Depuis, de nombreux promoteurs surendettés ont fait faillite, y compris le géant Evergrande.
L’or, nouvel investissement de prédilection

Pendant des années, la classe moyenne chinoise naissante a investi ses économies dans l’immobilier, perçu comme un placement stable, affichant des prix toujours en hausse.
Le krach immobilier survenu dans le pays a été un véritable choc pour les Chinois, qui ont perdu confiance en cet investissement. Le marché boursier chinois a également subi de lourdes pertes ces dernières années. Selon le Cato Institute, le gouvernement chinois « a longtemps maintenu des taux de dépôt faibles et limité les choix d’investissement grâce à des contrôles stricts des capitaux ».
En l’absence d’autres options de placement viables, l’or est devenu l’investissement incontournable pour des millions de citoyens chinois.
La Chine et l’or : un attachement culturel

Depuis des siècles, l’or est perçu comme une réserve de valeur sûre. Contrairement à de nombreux autres actifs, il a tendance à bien se comporter en période de troubles économiques et politiques. Comme le rappelle The New York Times, un vieux dicton chinois inspire probablement les consommateurs du pays : « Le jade en temps de prospérité, l’or en temps troublés. »
Effectivement, l’or occupe une place de choix dans la culture chinoise, symbolisant traditionnellement la prospérité future et la bonne fortune.
Compte tenu de sa réputation solide et du manque d’alternatives d’investissement depuis que l’immobilier et la bourse sont tombés en disgrâce, il n’est pas surprenant que tant de Chinois investissent leurs économies dans ce métal précieux.
La Gen Z et les « grains d’or »

Il y a dix ans, les cinquantenaires aisées, surnommées les « Big Mothers », étaient les principales acheteuses d’or en Chine, collectionnant lingots et pièces en grande quantité.
En 2024, la génération Z prend la relève, grâce à une sorte de démocratisation du marché de l’or en Chine.
L’influence des réseaux sociaux comme Weibo a déclenché un réel engouement des jeunes pour l’achat de minuscules « grains d’or ». Ces petites pépites, pesant à peine un gramme, sont facilement accessibles et se vendent à partir de 44 euros l’unité.
La folie des grains d’or

On trouve ces petites billes dans les bijouteries, mais aussi plus largement sur les sites de commerce en ligne comme Taobao, du groupe Alibaba. Elles sont même disponibles dans les grandes banques, comme la Merchants Bank Co. Pour renforcer leur attrait, ces micros microinvestissements dans l’or se déclinent sous plusieurs formes, allant de la cacahuète au kaki.
Une fois achetés, les grains sont soigneusement conservés dans un pot en verre dédié et gardés précieusement en prévision des jours difficiles. Certains influenceurs n’hésitent pas à exhiber leur collection en public pour produire du contenu 24 carats.
Le revers de l’obsession chinoise pour les grains d’or

Les grains d’or présentent toutefois un problème majeur : ils peuvent coûter jusqu’à 30 % de plus que le prix au comptant. C’est ce qu’affirme Nikos Kavalis, directeur général du cabinet de conseil Metals Focus, dans une récente interview accordée au Straits Times.
Selon lui, les jeunes Chinois feraient mieux d’investir dans des fonds négociés en bourse adossés à l’or. Avec des vendeurs peu scrupuleux proposant des grains d’or à teneur élevée en zinc ou autres métaux bon marché, les risques d’arnaque sont nombreux, sans compter les possibilités de vol.
Si l’on ignore dans quelle mesure la jeunesse chinoise est consciente des revers de cet investissement, les jeunes de la génération Z ne se passionnent pas moins pour ces petits trésors.
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La ruée vers l’or de la Banque centrale chinoise

Alors que les Chinois se précipitent pour placer leur argent dans l’or, la banque centrale du pays achète également des quantités considérables de ce métal précieux.
Comme mentionné précédemment, la Banque centrale de Chine aurait acquis la quantité record de 735 tonnes d’or l’année dernière. Si environ deux tiers de ces achats ont probablement été réalisés dans la plus grande discrétion, les 225 tonnes officiellement déclarées font de la Chine le premier acheteur en 2023 parmi les banques centrales mondiales.
Il s’agit d’une augmentation considérable par rapport à 2022, quand le total d’achat s’élevait alors à 62 tonnes. Par ailleurs, cela représente aussi la plus grande quantité annuelle achetée depuis 1977.
Des achats records

Les achats de la Chine représentent près d’un quart de tout l’or acquis par les banques centrales du monde entier en 2023. À titre de comparaison, la Banque centrale de Pologne arrive en deuxième position avec l’achat de 130 tonnes supplémentaires pour ses réserves. Elle est suivie par celle de Singapour (77 tonnes), de la Libye (30 tonnes) puis celle de la République tchèque (19 tonnes).
Les spéculations vont bon train sur les raisons poussant la Banque centrale chinoise à accumuler autant d’or. Quelles pourraient être les motivations qui se cachent derrière une telle frénésie ?
Des réserves d’or modestes

La Chine semble donc diversifier ses réserves de change dans une démarche visant à réduire les risques. Cependant, les réserves d’or de la Chine, en proportion de ses réserves de change totales, demeurent relativement faibles. Malgré une récente hausse portant les réserves d’or nationales à 2 264 tonnes, l’or ne représente que 4,6 % des réserves de change totales de la Chine, selon les dernières données du Conseil mondial de l’or.
Cela contraste fortement avec les États-Unis, qui possèdent 8 133 tonnes de métal précieux, soit plus que tout autre pays, et dont l’or représente 71 % des réserves de change totales.
La Turquie prend quant à elle la tête des pays dont la proportion d’or dans les réserves de change totales est la plus élevée. Cette valeur refuge occupe la totalité des réserves de change du pays, confronté à une forte inflation.
Les réserves d’or des puissances économiques

Si l’on s’intéresse aux autres grandes économies, il apparaît que les réserves de change de l’Allemagne sont constituées à 70,6 % d’or, des proportions proches de celles de la France (68,6 %) et de l’Autriche (62 %).Les réserves d’or de la Russie représentent quant à elles 28,1 % du total de ses réserves de change, tandis que celles de l’Espagne s’élèvent à 19,3 % de ses réserves.
D’autres nations comptent moins sur le métal précieux. En effet, l’or représente seulement 12,6 % des réserves de change du Royaume-Uni et 10 % de celles de l’Australie. Ce chiffre descend à 9 % pour l’Inde, 6,7 % pour l’Irlande, 4,7 % pour le Japon, 4,5 % pour Singapour, tandis que les Émirats arabes unis affichent un faible 2,6 %.
Des pays sans réserve d’or

Un certain nombre de pays n’ont aucune réserve d’or. Parmi eux, le Canada, ce qui peut sembler surprenant puisqu’il en est le quatrième plus grand producteur mondial d’or au monde.
Bien que l’or présente de nombreux avantages, il a aussi des inconvénients. En tant que marchandise physique de grande valeur, il est coûteux à stocker et à sécuriser, et les lingots sont plus difficiles à vendre que d’autres types de réserves de change, comme les obligations d’État. Le Canada jouit également d’excellentes relations avec les États-Unis et n’a donc pas à craindre que ses réserves en dollars soient gelées par le gouvernement américain.
C’est pour ces raisons que la Banque du Canada a choisi de renoncer à l’or au profit du puissant dollar américain et d’autres réserves de matières premières et d’actifs financiers, notamment des actions et obligations.
Des réserves de change vulnérables

En revanche, les relations entre la Chine et les États-Unis, qui ont connu des tensions croissantes ces dernières années, sont loin d’être aussi amicales.
Cette situation est un casse-tête stratégique à long terme pour Pékin, car la majeure partie des réserves de change de la Chine est détenue en dollars américains. Le pays détient en réalité les plus grandes réserves de devises étrangères au monde, avec un total de 3 027 milliards d’euros selon les derniers chiffres.
Il n’est généralement jamais judicieux de mettre tous ses œufs dans le même panier, surtout si un adversaire peut les faire disparaître à tout moment. La vulnérabilité financière du pays s’est imposée comme une réalité indéniable en 2022, suite aux lourdes sanctions occidentales imposées à la Russie après son invasion illégale de l’Ukraine.
La peur des sanctions américaines pour la Chine

Les sanctions internationales à l’encontre du gouvernement de Vladimir Poutine (notamment le gel des actifs en devises étrangères de la Russie) ont été une « mauvaise surprise » pour Pékin, selon le site d’information Nikkei Asia, qui a soudain vu ses vastes réserves de dollars américains menacées.
Si la Chine venait à contrarier l’Amérique pour de bon, il est fort possible que Washington utilise le dollar à des fins politiques et inflige à Pékin de graves dommages financiers en coupant l’accès à ses réserves en dollars américains.
Les sanctions contre la Russie ont été un sérieux signal d’alarme pour la Banque centrale de Chine, l’incitant à diversifier ses placements et ainsi à augmenter ses achats d’or.
Acheter de l’or pour envahir Taïwan ?

Que la Chine achète de l’or en vue d’une possible invasion de Taïwan reste sujet à débat, mais pour certains experts, Pékin accumule ce métal précieux précisément pour se prémunir financièrement en cas de conflit.
Jonathan Eyal, du think tank britannique Royal United Services Institute, a récemment déclaré au Telegraph que c’est bien la perspective d’une confrontation imminente avec les États-Unis qui a fait naître cette frénésie d’achat d’or, pointant également un « lien avec des plans d’invasion militaire de Taïwan ».
Selon Seeking Alpha, le prix de l’or pourrait grimper à des niveaux vertigineux si la Chine envahissait Taïwan, ce qui constitue une autre raison valable de renforcer ses réserves de métal précieux.
La fin des ressources aurifères en Chine

La ruée vers l’or chinoise semble également motivée par la diminution de la production du minerai en Chine et une panique tout à fait compréhensible de la part de la banque centrale du pays.
Bien que la République populaire de Chine soit aujourd’hui le plus grand producteur d’or à l’échelle mondiale, elle devrait faire face à une pénurie critique d’ici seulement huit ans, selon la Gold Bullion Company.
Les États-Unis ne devraient pas atteindre ce seuil critique avant 17 ans, tandis que d’autres pays comme l’Australie et la Russie disposent de ressources d’or non exploitées bien plus importantes.
La Chine en mission pour dédollariser l’économie mondiale

Certains experts expliquent encore autrement cette ruée vers l’or.
Pékin mène une offensive majeure pour dédollariser l’économie mondiale et intensifie ses efforts pour briser la suprématie du dollar américain.
La Chine a conclu des partenariats commerciaux en yuan et mis en place des accords de swap de devises avec certains pays, notamment l’Arabie saoudite et la Russie. Plus tôt cette année, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a affirmé que 90 % des transactions commerciales entre la Chine et la Russie se font désormais en yuan ou en rouble.
La Chine échange ses réserves en dollars contre de l’or

Fait révélateur, la Banque centrale chinoise utilise ses réserves de devises étrangères pour acheter de l’or, alors qu’auparavant, elle utilisait le yuan, sa monnaie locale.
En somme, l’échange de ses réserves en dollars américains contre de l’or semble faire partie intégrante de la stratégie de Pékin pour dédollariser l’économie. Même si la majorité de ses réserves en devises reste en dollars américains, la quantité de bons du Trésor américains détenue par la Chine a atteint son niveau le plus bas depuis 12 ans.
Une monnaie commune pour les BRICS

N’oublions pas la proposition de monnaie commune des BRICS. Ce bloc d’économies émergentes regroupe le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, ainsi que l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, admis en début d’année.
Portée par la Russie, l’organisation prévoit de lancer sa propre monnaie, alors que le mouvement visant à se détourner du dollar pour les transactions internationales prend de l’ampleur. Et vous devinez probablement sur quelle valeur cette nouvelle monnaie serait adossée…
Une nouvelle monnaie pour les pays du Sud adossée à l’or

Exactement : de l’or physique, détenu localement. Protégée des sanctions occidentales, contrairement aux réserves de dollars américains ou d’autres devises majeures comme l’euro, une monnaie BRICS adossée à l’or et utilisée largement serait une véritable bouffée d’oxygène pour des pays comme la Russie et l’Iran, soumis à des sanctions sévères.
Cette monnaie serait également une aubaine pour l’Éthiopie et l’Égypte, qui souffrent toutes deux de pénuries de dollars américains.
La Chine pourrait par ailleurs envahir Taïwan sans craindre que les États-Unis ne l’isolent totalement du commerce mondial. Pékin disposerait alors d’une alternative, réduisant ainsi ses risques financiers.
La domination mondiale du dollar américain reste difficile à ébranler

Malgré tout, le dollar américain continue de régner en maître, du moins pour le moment.
Le Dollar Dominance Monitor de l’Atlantic Council révèle que le célèbre billet vert est utilisé dans 88 % des transactions de change et représente 59 % des réserves mondiales de devises.
Remettre en cause la suprématie du dollar par une monnaie commune adossée à l’or ne sera pas une tâche aisée, tant il est ancré dans le système économique mondial, et ce, malgré l’aversion des BRICS à y recourir. La plupart des pays continuent de dépendre du dollar pour le commerce international, mais certains experts estiment toutefois que cette éventualité reste envisageable…
Les conséquences d’une dédollarisation sur l’économie américaine

Michael Roch, analyste au Lowy Institute, le principal groupe de réflexion australien, suggère que la tendance à la dédollarisation pourrait bien connaître un essor révolutionnaire.
Dans un article publié sur le blog de l’institut en 2023, ce dernier considère ce phénomène comme potentiellement catastrophique pour l’économie américaine, les banques centrales des BRICS et d’autres pays pouvant se débarrasser de leurs réserves de dollars et tourner définitivement le dos à cette monnaie.
La Chine cherche-t-elle l’effondrement de l’économie américaine ?

Ainsi, la stratégie de dédollarisation de Pékin, dont les achats d’or frénétiques seraient un élément clé, vise-t-elle à provoquer l’effondrement de l’économie américaine ? Si Michael Roch ne l’affirme pas explicitement, tout le monde en comprend le sous-entendu.
L’expert du Lowy Institute avertit que l’abandon massif du dollar entraînerait une hyperinflation aux États-Unis (éclipsant probablement les hausses de prix récentes), ainsi qu’une flambée des taux d’intérêt et une chute des prix des actifs.
Reste à voir s’il ne s’agit que de pures spéculations ou d’une véritable prédiction, mais une chose est sûre : la ruée chinoise vers l’or ne montre aucun signe de ralentissement et pourrait même s’intensifier dans les années à venir.
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