Un village de 700 châteaux désertés : l’incroyable fiasco immobilier
Au cœur du village fantôme de contes de fées

Le complexe Burj Al Babas promettait de somptueux châteaux inspirés de l’architecture européenne et des prestations de luxe, spécialement conçus pour une clientèle aisée. Pourtant, ce projet de rêve s’est rapidement transformé en cauchemar. Plus de dix ans après son lancement, le site est toujours à l’abandon, sans espoir d’être un jour habité.
Découvrez cette étrange ville turque, où se dressent au beau milieu des gravats des manoirs féeriques vides inspirés des contes de fées.
Poursuivez votre lecture pour découvrir l’incroyable histoire de ce lotissement déserté. Tous les montants sont en dollars américains.
Adaptation française par Aurélie Blain
Figé dans le temps

Malgré ses façades de conte de fées, rien ne finit bien pour cet ensemble immobilier en ruines, du moins pas pour le moment. Niché dans les collines du nord-ouest de la Turquie, Burj Al Babas, autrefois présenté comme un projet phare de l’immobilier de luxe, n’offre plus aujourd’hui qu’une vision sinistre.
Le site se trouve près de la ville historique de Mudurnu, renommée pour son architecture byzantine et ottomane, digne de figurer au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce projet atypique a suscité des avis partagés chez les habitants : si le maire de Mudurnu soutenait le développement avec enthousiasme, d’autres trouvaient que ces mini-châteaux au style européen rompaient l’harmonie esthétique traditionnelle de la région.
Du rêve au fiasco financier

Des centaines de maisons purement identiques, toutes dotées de tourelles, se succèdent en alignements parfaits. Ce qui aurait dû être une communauté animée, habitée par des résidents fortunés, s’est mué en une ville fantôme surréaliste, abandonnée aux caprices de la nature.
La chute du projet Burj Al Babas offre un mélange fascinant d’ambitions démesurées, de polémiques et de pertes financières dévastatrices, ayant laissé place à un avenir extrêmement incertain.
Une inspiration française

Le groupe Sarot, concepteur de ce projet audacieux, acquiert un vaste terrain de 101 hectares à proximité de Mudurnu, dans le nord-ouest de la Turquie.
Boosté par un marché immobilier en plein essor, on y imagine alors un complexe romantique et pittoresque de 732 villas, inspirées à la fois du château de Chenonceau, situé dans la vallée de la Loire (photo) et de la célèbre tour conique de Galata à Istanbul.
La construction de ce projet extravagant, estimé à 200 millions de dollars (192 millions d’euros), commence vers 2011.
Une brochure séduisante

Dirigé par les frères Mezher et Mehmet Yerdelen et leur associé Bulent Yilmaz, le groupe Sarot crée une brochure soigneusement conçue pour attirer leur public cible : les touristes aisés des pays du Golfe.
Cette région de la Turquie attire depuis longtemps les visiteurs du Golfe, séduits par son climat agréable, ses paysages verdoyants et ses stations thermales paisibles.
Pour séduire cette clientèle, la société affuble le projet d’un nom arabe : « Burj » signifiant tour ou tourelle, et « Al Babas » en référence à une station thermale célèbre de la région.
Une destination touristique de rêve

Au cœur du lotissement doit se trouver un immense complexe de loisirs, installé dans un bâtiment de style néoclassique, évoquant des monuments tels que le Capitole de Washington, la basilique Saint-Pierre de Rome et la cathédrale Saint-Paul de Londres.
Les sources thermales naturelles du site, réputées pour leurs vertus curatives, sont l’un des atouts majeurs du projet. Le groupe Sarot prévoit d’utiliser cette ressource abondante pour offrir des prestations d’exception.
Le complexe central doit inclure des installations spectaculaires, telles qu’un parc aquatique avec toboggans, des piscines intérieures, des hammams, des saunas et des bains turcs. Les eaux thermales doivent également permettre de chauffer tout le site, dans une démarche écoresponsable.
Des intérieurs somptueux

Aucune dépense n’est épargnée dans la conception intérieure de Burj Al Babas. Ce rendu illustre une piscine intérieure recouverte d’un dôme et revêtue de marbre de grande qualité.
En plus des installations thermales, le centre doit abriter de nombreuses autres prestations de luxe : boutiques, restaurants, cinémas, espaces de jeux pour enfants, salles de conférence et centres de remise en forme, ainsi que des terrains de tennis, de basketball et même un terrain de football couvert.
Un domaine de conte de fées

Chaque villa, au nombre de 732, est conçue dans un style architectural tout aussi extravagant, digne d’un livre d’histoires.
Naci Yoruk, l’architecte consultant, a expliqué à arabianbusiness.com que l’inspiration « châteaux » était une demande spécifique des clients. Il n’a donc pas lésiné sur les détails : tourelles, toits mansardés, lucarnes, balcons aux balustrades de pierre et profusion d’ornements.
Des pièces à couper le souffle

Ces demeures de conte de fées sont tout aussi époustouflantes à l’intérieur. Hauts plafonds, moulures sophistiquées, parquets élégants et finitions raffinées sont prévus. Chaque maison comprend également un escalier hélicoïdal menant aux étages, ainsi qu’un toit-terrasse panoramique.
Des prestations haut de gamme

Un jacuzzi, offrant aux propriétaires les bienfaits des eaux thermales, doit être installé à chaque étage. Les acheteurs peuvent également opter pour une piscine intérieure et un ascenseur.
Une fois le projet lancé, le groupe Sarot ouvre un bureau au Koweït et commence à promouvoir sa vision utopique. Les villas sont proposées à des prix compris entre 370 000 dollars (354 000 euros) et 500 000 dollars (479 000 euros).
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Opposition locale

Pendant ce temps, l’opposition locale grandit. Si le maire de Mudurnu de l’époque, Mehmet İnegöl, soutient pleinement le projet, d’autres membres de la communauté le critiquent vivement, arguant que les mini-châteaux n’ont pas leur place et risquent de dénaturer le paysage.
La ville de Mudurnu, candidate potentielle au classement au patrimoine mondial de l’UNESCO, date de l’époque romaine. Elle est réputée pour son architecture byzantine et ottomane caractéristique.
Renforcement des règles

Entre-temps, le gouvernement turc adopte de nouvelles réglementations visant à protéger l’intégrité historique des villes et villages du pays, empêchant le futur développement de projets similaires.
La construction de Burj Al Babas ayant déjà commencé, les travaux se poursuivent à plein régime, mobilisant jusqu’à 8 000 ouvriers au plus fort du chantier.
Problèmes juridiques

Pour calmer les inquiétudes des habitants, le maire de l’époque affirme que le complexe sera caché dans une vallée, à l’écart du centre-ville.
Cependant, selon le média turc anglophone Hürriyet Daily News, une plainte pénale est déposée contre le groupe Sarot en 2015 pour des atteintes à l’environnement. Le rapport mentionne notamment la destruction de 82 pins noirs et chênes, ainsi que le déversement de terres excavées sur 2,6 hectares de forêt préservée, provoquant l’indignation des résidents déjà hostiles au style architectural incongru du projet.
De grands espoirs

Les ventes de châteaux féeriques sont d’abord très prometteuses. D’un point de vue financier, le projet semble sur de bons rails.
Des acheteurs fortunés originaires du Koweït, des Émirats arabes unis, du Qatar et de l’Arabie saoudite sont prêts à investir et à acquérir leur propre château de style français. C’est alors qu’apparaissent les premiers nuages...
Tempête en approche

L’économie turque traverse une période difficile et la baisse des prix du pétrole affecte directement le pouvoir d’achat des clients visés par le promoteur. Les ventes ralentissent, mais les travaux de construction continuent bon train.
À l’été 2018, 587 mini-châteaux sont sortis de terre, bien que dans des états d’achèvement variés et seulement 350 d’entre eux sont déjà vendus.
Maisons témoins

En plus des soucis financiers du promoteur, certains acheteurs rencontrent des difficultés de paiement.
Selon Domusweb.it, le vice-président de la société, Mezher Yardelen, a déclaré : « Certains acheteurs n’ont pas pu payer [le coût de] la villa ».
Avec une dette s’élevant à 27 millions de dollars (25,9 millions d’euros), la société doit impérativement vendre rapidement les mini-châteaux restants : des villas témoins sont alors équipées pour attirer les clients, mais les ventes sont loin d’être satisfaisantes.
Phase finale

Le groupe Sarot affirme dans un communiqué être dans « la phase finale » du projet avec des villas à 90 % achevées. Cependant, en juin 2018, le groupe se voit contraint de demander un concordat, une procédure permettant aux débiteurs « bien intentionnés et honnêtes » de rembourser une partie de leurs dettes afin de calmer les créanciers et d’éviter la faillite.
Ordonnance de faillite

Le tribunal concède à l’entreprise un délai de trois mois pour régler ses dettes selon les termes de l’accord, mais le groupe Sarot ne parvient pas à rassembler les fonds nécessaires avant l’échéance.
Il sollicite ensuite une autorisation pour restructurer les dettes restantes, mais le tribunal rejette cette demande. En novembre 2018, une ordonnance de faillite est finalement prononcée et les travaux de construction sont suspendus malgré une demande explicite de les poursuivre.
Surmonter la crise

À l’époque, le groupe Sarot reste optimiste, déclarant que la vente de seulement 100 villas supplémentaires permettrait de rembourser les dettes.
« Le projet est évalué à 200 millions de dollars (191 millions d’euros), déclare Mehmet Emin Yerdelen, président du groupe Sarot, en novembre 2018. Nous n’avons besoin de vendre que 100 villas pour rembourser nos dettes. Je crois que nous pourrons surmonter cette crise en quatre ou cinq mois et inaugurer partiellement le projet en 2019 ».
Une ville fantôme abandonnée

Malgré l’optimisme du dirigeant, la situation n’évolue guère dans les années qui suivent et le site de Burj Al Babas se transforme en véritable ville fantôme.
Après un pourvoi en appel des avocats de la société, le tribunal autorise finalement le groupe Sarot à poursuivre la commercialisation des châteaux terminés, mais le projet reste au point mort.
Passeports dorés

En 2018, pour inciter les investisseurs étrangers à stimuler un marché immobilier en difficulté, le gouvernement turc abaisse le montant minimum requis pour obtenir la citoyenneté par investissement immobilier, de 1 million de dollars (959 000 euros) à seulement 250 000 dollars (239 000 euros). Malgré ces nouvelles conditions, le projet Burj Al Babas continue de s’enliser.
Espaces restreints

Chaque villa a beau disposer d’un petit jardin, elles sont toutes construites au coude à coude et peu d’espace les sépare.
« Certains demandent des murs, a expliqué Mehmet Yerdelen dans une interview donnée au New York Times, mais j’ai refusé, il y aura des arbres à la place. »
Une touche d’optimisme

Le New York Times s’est également entretenu avec Imad Yousef, agent immobilier basé au Koweït, qui s’est montré enthousiaste à propos du projet.
« J’espère gagner un peu d’argent et j’en profiterai moi-même, a-t-il déclaré. Lorsque le projet sera terminé, si Dieu le veut, il sera incroyable. »
Des investisseurs impatients

Sans surprise, d’autres acheteurs ne partagent pas cet optimisme. « En 2013, j’ai acheté un studio en multipropriété pour 13 000 livres turques, achat que j’ai réglé en totalité. Mon bien devait être livré en 2015 », a déclaré Nilüfer Önce au Hürriyet Daily News. Un autre investisseur a exigé un remboursement.
Une reprise des travaux

Une avancée significative survient en novembre 2019 : à ce moment-là, le groupe Sarot a remboursé 50 % de ses dettes, ce qui convainc le tribunal d’annuler la faillite. L’autorisation de reprendre la construction des villas restantes est accordée, pour la plus grande satisfaction du promoteur et des investisseurs.
Nouveaux retards

La construction est de nouveau interrompue pendant l’hiver, en raison de mauvaises conditions météorologiques, avant que les confinements et mesures sanitaires de la pandémie n’entraînent des retards plus importants encore.
Burj Al Babas ne manque toutefois pas de visiteurs au fil des ans, venus voir ces maisons abandonnées pour satisfaire leur curiosité.
Des projets artistiques

En février 2020, le designer d’objets et réalisateur Alexandre Humbert tourne un court-métrage à Burj Al Babas, imaginant le site en parc d’attractions nommé Sleeping Beauties, où les visiteurs paient un droit d’entrée pour photographier les villas vides.
Par ailleurs, à l’automne de la même année, le clip du hit Lose Control de Meduza, connu pour son ambiance post-apocalyptique, est tourné dans et autour de la ville fantôme ultramoderne.
Un paradis pour l’urbex

Le site attire également son lot d’amateurs d’urbex. En décembre 2020, le vlogueur intrépide et présentateur britannique Mike Corey visite Burj Al Babas en compagnie de quelques amis et partage son expérience sur sa chaîne YouTube Fearless & Far. La vidéo récolte plus de 2,4 millions de vues.
D’après les images les plus récentes du projet, peu de choses semblent avoir changé ces dernières années sur ce site délabré…
Date de livraison de Burj Al Babas

Cette photo de février 2022 montre les villas enveloppées de neige. Malgré leur architecture imposante et majestueuse, beaucoup d’entre elles restent exposées aux rigueurs de l’hiver. Une ligne électrique branlante semble traverser le site, tandis que des matériaux de construction abandonnés jonchent le sol gelé.
Savoir si, ou quand, ce projet déserté sera achevé reste un mystère. Le PDG de Sarot, Mezher Yerdelen, avait promis une livraison en 2021. Cette promesse n’a clairement pas été tenue, mais un changement de propriétaire survenu depuis pourrait permettre de relancer le projet.
Changement de propriétaire

Selon le magazine de voyage Atlas Obscura, Burj Al Babas a été racheté par la société américaine NOVA Group Holdings fin 2021. Mujat Guler, PDG de NOVA Türkiye, a confirmé cette acquisition : « Nous avons effectivement repris ce projet, ainsi que quelques autres du groupe Sarot. Nous poursuivrons selon le plan initial et cherchons activement des clients dans les pays du Golfe ».
On ignore toujours ce que la société américaine prévoit de faire du site. Il pourrait être entièrement réaménagé en un nouveau projet résidentiel ou commercial, ou bien NOVA pourrait tenter de sauver ce qui peut l’être et achever le plan original.
Travaux interrompus

Malgré ce changement de propriétaire, le site reste dans un état quasi identique à celui des années précédentes d’après cette image Google Earth prise le 27 septembre 2023.
La vue aérienne impressionne néanmoins par l’ampleur du projet : des lignes ordonnées de villas, toutes abandonnées, attendant des occupants qui ne viendront peut-être jamais.
Un avenir incertain

L’absence d’activité sur le chantier et les images récentes suggèrent que les nouveaux propriétaires ne semblent pas pressés de relancer ce projet avorté. On ignore toujours si ce plan grandiose finira par voir le jour : qui sait, un prince charmant viendra peut-être un jour sauver le Burj Al Babas.
Le groupe Sarot n’a pas répondu à nos demandes de commentaires pour cet article.
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