Ce manoir de style néo-géorgien trône sur le campus Briarcliff de l’université Emory, en Géorgie (États-Unis). Aujourd’hui muré et laissé à l’abandon, il a autrefois accueilli de somptueuses soirées mondaines, abrité des animaux exotiques… et un meurtre y a même été commis.

Construit dans les années 1920 pour Asa Griggs « Buddy » Candler Jr., l’héritier fantasque de Coca-Cola, ce lieu hors du commun continue de nourrir les rumeurs et d’alimenter sa propre légende.

Plongez dans l’histoire fascinante de cette demeure oubliée… et découvrez ce qu’elle pourrait encore révéler.

Tous les montants sont en dollars US.

Adaptation française par Margaux Cervatius

Candler Jr, fils du fondateur de la marque emblématique Coca-Cola créée en 1893, a la réputation d’être un « personnage haut en couleur » qui multiplie les passions étranges, comme les tours de magie ou les animaux exotiques.

Après avoir vendu ses parts dans la société familiale en 1919, Candler Jr se tourne vers l’immobilier. Il entame alors la construction de Briarcliff Mansion, un imposant manoir doté de son propre zoo.

Une visite de presse est organisée dans le manoir à la fin de sa construction en 1922 et les journaux parlent alors de « 16 hectares de féerie ». À l’extérieur, une serre richement décorée se dresse toujours au milieu de ce qui était autrefois d’élégants jardins paysagers, où Candler Jr organisait des soirées au bord de la piscine et des dîners mondains.

Au fil des ans, Candler Jr mène plusieurs chantiers de rénovation. Il ajoute ainsi un terrain de golf, une blanchisserie et le fameux zoo, qui deviendra ensuite une piscine publique avec un stand de Coca-Cola.

Conçu par le célèbre cabinet d’architectes d’Atlanta Frazier and Bodin, le domaine, aujourd’hui vide et abandonné, vivait autrefois au rythme des rugissements des animaux exotiques de Candler Jr. Sa ménagerie comptait notamment des lions, des oiseaux exotiques, un tigre du Bengale, une panthère noire, quatre éléphants – qui auraient été nommés Coca, Cola, Refreshing et Delicious – et un babouin.

En 1935, un scandale éclate : le babouin s’échappe du zoo, mord une passante, lui dérobe son sac à main, puis dévore 60 dollars en liquide. La victime porte plainte contre Candler Jr et obtient gain de cause : 10 000 dollars de dommages et intérêts, soit l’équivalent d’environ 207 000 euros aujourd’hui.

Les nuisances sonores et les odeurs émanant de la ménagerie finissent par exaspérer le voisinage. Face aux plaintes répétées, Candler Jr est contraint de se séparer de ses animaux exotiques. Dans les années 1930, il en fait don au zoo de Grant Park — qui deviendra plus tard le zoo d’Atlanta — en y ajoutant une généreuse donation pour garantir leur bon traitement.

Outre les animaux, les serres visibles sur cette photo étaient autrefois remplies d’une incroyable variété de plantes et de fleurs exotiques.

Contrairement à ce que son état de délabrement actuel pourrait laisser croire, Briarcliff était un aimant à célébrités dans les années 1920 et 1930. Candler Jr et son épouse Helen, une grande mondaine, aimaient y organiser des soirées chics et leur maison était décorée de meubles somptueux et de tableaux onéreux.

Connu sous le nom de salle de musique à l’époque, le hall principal de style Tudor présente un impressionnant plafond voûté s’élevant sur trois étages, des murs lambrissés et une immense cheminée en pierre de taille.

À son apogée, le manoir comptait plus de 40 pièces, deux piscines et une salle de bal, bien loin de la propriété poussiéreuse et décrépie d’aujourd’hui.

Candler Jr aurait procédé à un certain nombre d’agrandissements au fil des ans. Il ajouta notamment une salle de musique de 160 mètres carrés, dotée d’un immense orgue. Cette salle, rebaptisée plus tard DeOvies Hall, est la pièce la mieux conservée de la maison.

Seule la console de l’orgue subsiste sur cette photographie prise en 1953 et publiée par l’Atlanta Journal-Constitution au nom de la bibliothèque de l’université d’État de Géorgie.

Le reste de l’instrument, apparemment le huitième plus grand orgue Aeolian jamais construit pour une résidence privée, a été donné – ou, selon certaines sources, vendu – au Wesleyan College de Macon, en Géorgie, en 1952, un an avant la prise de cette photo. Rénové en 2008, il est désormais connu sous le nom d’orgue Goodwin-Candler-Panoz.

Cette pièce regorge d’éléments architecturaux extraordinaires. La cheminée en pierre richement sculptée mesure 2,7 mètres de haut et s’accompagne d’un foyer aux dimensions tout aussi impressionnantes (1,8 mètre de large sur 1,5 mètre de haut). Sa splendeur continue de rayonner après toutes ces années.

Les murs de la salle de musique sont revêtus d’épais lambris de chêne finement travaillés, tandis que trois grandes baies vitrées inondent la pièce de lumière. Tous ces détails figurent dans le formulaire soumis en 1988 pour inscrire Briarcliff au National Register of Historic Places (Registre national des lieux historiques aux États-Unis).

La bibliothèque n’est pas en reste, avec ses murs couverts de magnifiques boiseries sculptées à la main.

À voir ces pièces vides et abandonnées, on peine à croire que cette propriété fut un jour le théâtre d’un tel faste. Le manoir comprenait jadis cette ancienne salle à manger, capable d’accueillir 75 convives, ainsi qu’un solarium abritant de grandes peintures murales à l’huile et plusieurs chambres pour héberger les invités de Candler Jr.

Au fil des années, de nombreuses propositions ont été faites pour transformer la propriété. L’un des projets suggérait de transformer le manoir en un hôtel de charme de 54 chambres, mais il n’a pas abouti.

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Parmi les plus belles transformations de Briarcliff figure la salle de bal, aménagée au dernier étage de la demeure. Candler Jr conservait son impressionnante collection d’accessoires de magie, autre de ses passions, dans cette pièce ornée de feuilles d’or. Il y organisait des « soirées magie » pendant lesquelles les invités étaient invités à se produire les uns devant les autres.

Plusieurs magiciens célèbres assistèrent à ces soirées, dont Howard Thurston et Dante (de son vrai nom Harry August Jansen), et on dit même que Candler Jr était ami avec Houdini.

Bien que Candler Jr ait affirmé être un ami proche du légendaire magicien Houdini, connu pour ses évasions spectaculaires, il n’existe malheureusement aucune trace d’un quelconque passage à Briarcliff.

Candler Jr prétendait que le célèbre Hongrois lui avait appris quelques tours. Il est tout à fait possible qu’ils se soient rencontrés, étant donné que Houdini avait installé son bureau dans le Candler Building, à New York, qui était géré par Candler Jr lui-même.

En janvier 1931, la passion de Candler Jr pour la magie le plonge malgré lui au cœur d’un drame. Son majordome, José Cruz – qui l’assiste également dans ses tours – tue sa compagne avant de retourner l’arme contre lui, dans les jardins de Briarcliff. On pense alors que l’arme utilisée appartient à Candler Jr.

Bien qu’il ne soit en rien impliqué dans le drame, il vit très mal l’attention médiatique qui s’ensuit et finit par s’éloigner de la magie, une passion qu’il considère désormais comme entachée par cette double tragédie.

Et ce n’est que le début de ses soucis. À la fin des années 30, la chance commence à tourner pour Candler Jr. Ruiné par de mauvais investissements, des loisirs extravagants tels que la voile et l’aviation, ainsi que des projets ambitieux visant à transformer le cimetière de Westview, il fait faillite.

Candler Jr est alors contraint de vendre Briarcliff à la General Services Administration (Administration des services généraux) en 1948. Ironie du sort : celui qui fut alcoolique pendant une grande partie de sa vie voit alors son ancien domicile transformé en centre de désintoxication.

Malheureusement, l’alcoolisme est une affaire de famille et John, l’aîné des trois fils et des quatre filles qu’il a eus avec sa première épouse Helen, décède en 1947 des suites d’un traitement expérimental destiné à soigner cette addiction.

En 1947, contraint de vendre son manoir tant aimé, Candler Jr s’installe au dernier étage de l’hôtel Briarcliff avec sa seconde épouse, Florence — son ancienne secrétaire — qu’il a épousée après la mort d’Helen en 1927.

Ironie du sort : il avait autrefois possédé la société immobilière à l’origine de la construction de l’hôtel, en 1924. Il y vit jusqu’à sa mort, en 1953, des suites d’un cancer du foie.

Mais l’histoire de Briarcliff, elle, ne s’arrête pas là…

Briarcliff devient un hôpital psychiatrique de 141 lits de 1965 à 1997. C’est pendant cette période que le lieu acquiert la réputation de « maison des horreurs ».

Un message glaçant a été tagué sur une fontaine intérieure de l’ancien solarium : « Du sang a coulé ici ». Il s’agit probablement d’une farce par des jeunes du coin, mais elle ne surprend personne compte tenu des rumeurs sinistres qui entourent l’institution.

Selon plusieurs sources, une série de cottages disposés en arc de cercle était reliée à l’hôpital par un réseau de tunnels souterrains, permettant d’y acheminer les patients depuis les différents services. Cet agencement visait à limiter le temps passé à l’extérieur et à empêcher toute tentative d’évasion.

Sur cette photo, on découvre la cuisine de l’un de ces petits bâtiments. Longtemps exposée à l’humidité et à la moisissure, elle se trouve aujourd’hui dans un état de délabrement avancé.

Ce cliché révèle une pièce probablement utilisée dans le cadre des soins dispensés à l’époque.

Il y a plusieurs années, Charlie Paine, responsable de la conservation du manoir, expliquait au journal The Southerner avoir un jour rencontré une femme âgée qui déambulait dans l’angoissante propriété. Elle lui a dit avoir été infirmière à l’hôpital.

« Je me souviens avoir observé ses mains pendant notre conversation et avoir vu du sang là où elle s’était écorchée en se grattant. Sans doute un comportement révélateur du traumatisme laissé par ce qu’elle avait vu ici », raconte-t-il.

D’après les rumeurs qui courent encore dans le voisinage, Briarcliff serait hanté. À la nuit tombée, des fantômes erreraient dans les couloirs interminables du manoir et hanteraient ses nombreuses pièces désertes.

Aujourd’hui, les lieux sont vides, mais les murs gardent les stigmates du passage des nombreux intrus qui s’y sont aventurés au fil des années.

Un ruban de sécurité barre l’entrée d’une pièce, dissuadant les intrus et les explorateurs téméraires de s’aventurer dans les couloirs inquiétants du manoir. Condamné depuis les années 1990, le bâtiment représente aujourd’hui un véritable danger après des décennies d’abandon.

Le manoir aurait bien besoin de réparations : le toit fuit, les dégâts des eaux sont importants et la moisissure s’est répandue dans chaque recoin.

Le manoir abandonné a été acheté par l’université Emory en 1998 mais, malgré l’inscription de Briarcliff au Registre national des lieux historiques en 1988, aucune tentative de rénovation n’a été entreprise depuis toutes ces années.

Le tableau noir laisse supposer que cet espace servait de salle de classe, peut-être à l’époque où l’établissement était un hôpital psychiatrique.

Cette photographie prise dans la pénombre de Briarcliff capture toute la beauté brute et la désolation de ce manoir autrefois grandiose. La peinture écaillée, les rideaux en lambeaux et la lueur du crépuscule à travers les fenêtres poussiéreuses ne font que contribuer à l’atmosphère angoissante de la propriété.

Au fil des ans, son état de délabrement a fait de la maison un décor populaire de films et de séries à l’ambiance surnaturelle, tels que Stranger Things ou encore The Vampire Diaries.

Un peu plus loin sur le domaine de Briarcliff se trouve l’ancien Georgia Mental Health Institute (institut de santé mentale de Géorgie). Ce bâtiment de style brutaliste apparaît dans les premières saisons de la série Netflix Stranger Things.

C’est ici que les extérieurs du sinistre Laboratoire national d'Hawkins ont été tournés, là même où Eleven, interprétée par Millie Bobby Brown, est maintenue captive pour servir de cobaye.

Au fil des ans, divers projets ont été évoqués pour redonner vie à cette demeure abandonnée. Comme nous l’avons mentionné, un promoteur avait l’intention de restaurer le manoir et de le transformer en hôtel de charme, mais ce projet a été jugé trop coûteux. Il était également envisagé de transformer la propriété en espace événementiel, mais cette idée n’a pas abouti non plus.

Selon des estimations datant de 2015, il faudrait au moins 14 millions de dollars (environ 12,9 millions d’euros) rien que pour rendre la propriété à nouveau habitable. Et depuis, l’état du domaine ne s’est guère amélioré : dix ans plus tard, ce chiffre est sans doute largement sous-évalué.

Heureusement, une entreprise semble prête à relever le défi…

Selon The Emory Wheel, le journal de l’université Emory, la faculté aurait loué 13 hectares sur les 17 hectares du campus Briarcliff à Galerie Living, entreprise spécialisée dans les résidences pour seniors basée à Atlanta.

En novembre 2022, les plans de transformation complète du domaine ont été approuvés : Briarcliff deviendra une résidence sécurisée pour seniors baptisée Corso Druid Hills. Elle comprendra près de 500 logements, dont des studios, des logements pour les personnes autonomes et semi-autonomes et des établissements de soins.

L’université Emory conserve 4 hectares du domaine ainsi que le Library Service Center, mais le bâtiment A – ancien hôpital psychiatrique et lieu de tournage de Stranger Things – sera démoli pour faire place à de nouveaux logements ainsi qu’à des commerces, des restaurants et des infrastructures de loisirs.

Le manoir de Briarcliff n’accueillera pas de seniors, mais l’entreprise Galerie Living s’est engagée envers l’université à restaurer ce remarquable bâtiment.

Selon un responsable d’Emory, les travaux de restauration seront « considérables ». « Une fois restauré, nous espérons que ce bâtiment pourra être utilisé par le campus et le voisinage », a-t-il ajouté.

« Le manoir est en grande partie délabré, mais il conserve des traces de sa grandeur passée. Cela le rend d’autant plus mystérieux et intéressant », déclare Stephen Corder, responsable marketing de Galerie Living, à The Emory Wheel.

« Une fois que nous l’aurons rénové et remis en état, ce lieu pourrait accueillir des mariages, des réceptions, des événements communautaires et des séminaires d’entreprise ».

Ainsi, malgré une histoire jalonnée de hauts et de bas, cette bâtisse du passé semble promise à une fin heureuse.

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