Surnommé un temps « le meilleur trader dont personne n’avait jamais entendu parler », Sung Kook Hwang, dit Bill Hwang, a vu son patrimoine grimper jusqu’à 20 milliards de dollars… avant d’être réduit à néant en un éclair.
Tout s’écroule en mars 2021, lorsque son fonds d’investissement new-yorkais, Archegos, implose de façon spectaculaire. L’effondrement fait l’effet d’un séisme dans le monde de la finance. Depuis, Bill Hwang a été reconnu coupable de plusieurs chefs d’accusation liés à ce fiasco.
Cet autodidacte qui avait commencé tout en bas de l'échelle dans les cuisines de McDonald’s a été condamné à 18 ans de prison en novembre 2024. Retour sur l’ascension fulgurante et la chute vertigineuse d’un magnat de la finance.
Adaptation française par Charline Pelletier
Né en 1964 en Corée du Sud, Bill Hwang arrive à Las Vegas à l’âge de 18 ans avec ses parents, en 1982, raconte le journal américain The New York Times.
À l’époque, son anglais est rudimentaire. Il se rebaptise Bill et travaille en cuisine pour McDonald’s, sur la célèbre avenue Strip de la ville.
Moins d’un an après leur arrivée aux États-Unis, son père, pasteur, décède. Sa mère choisit alors de s’installer à Los Angeles, où Bill Hwang entame des études d’économie, à l’université de Californie. Mais selon plusieurs sources, le jeune homme s’adonne volontiers à la vie festive étudiante. Il parvient tout juste à valider sa licence au terme de ses trois années d’études.
Malgré un parcours universitaire quelque peu agité, Bill Hwang obtient une place dans le prestigieux programme de MBA de l’université Carnegie Mellon, à Pittsburgh, en Pennsylvanie. Un premier pas vers une brillante carrière dans le monde des affaires.
Diplôme en poche, il décroche son premier « vrai » job à New York : vendeur d’actions pour Hyundai Securities, un groupe sud-coréen de services financiers.
Au milieu des années 1990, la chance lui sourit : il se fait repérer par Julian Robertson, légende des fonds spéculatifs à Wall Street. Bill Hwang se voit alors offrir un poste en or dans sa société pionnière Tiger Management, en tant que conseiller en investissement. Il devient rapidement l’un des protégés vedettes du célèbre financier.
En 2000, Julian Robertson décide de liquider Tiger Management, mais choisit de soutenir financièrement la création du fonds spéculatif de Bill Hwang : Tiger Asia Management.
Bill Hwang rejoint ainsi le cercle très fermé des anciens talents de Tiger Management, appelés les Tiger Cubs (littéralement « bébés tigres ») – ces jeunes prodiges formés par Julian Robertson qui lancent leur fonds – ainsi que celui des Tiger Seeds (« graines » de Tiger Management), autrement dit des gestionnaires prometteurs à qui leur mentor confie un capital initial pour développer leur propre structure.
Aux commandes de Tiger Asia, Bill Hwang se forge rapidement une réputation : ses paris extrêmement risqués sur les marchés boursiers asiatiques, notamment en Corée du Sud, au Japon et en Chine, attirent l’attention. Cette stratégie est largement fondée sur l’argent emprunté et l’effet de levier, qui permet d’augmenter des rendements grâce à l’endettement. Une méthode qui le met donc régulièrement dans le collimateur des autorités de régulation.
Mais le risque paie : à son apogée, Tiger Asia gère plus de 10 milliards de dollars d’actifs (près de 14 Md € aujourd’hui), selon le média économique Bloomberg. Jusqu’au moment où les ennuis commencent…
En 2009, les autorités de régulation de Hong Kong accusent Tiger Asia de délit d’initié et de manipulation de marché. Le tribunal ordonne finalement au fonds de rembourser près de 6 millions $ (soit environ 7,5 M € aujourd’hui) à plus de 1 800 investisseurs dupés par ces opérations illégales.
Trois ans plus tard, en 2012, Bill Hwang doit affronter cette fois-ci les autorités américaines. Il plaide coupable de fraude électronique pour avoir effectué des transactions frauduleuses sur deux actions chinoises : China Construction Bank et Bank of China. Au passage, il aurait empoché 16,7 millions $ (environ 20 M € aujourd’hui) de profits illicites.
Condamné au pénal par la justice fédérale, Bill Hwang doit s’acquitter de 16,3 millions $ (19 M € aujourd’hui). Ses déboires l’obligent également à verser 44 millions supplémentaires (environ 38 M € aujourd’hui) dans le cadre d’une procédure civile lancée par la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme boursier américain. Acculé par les pertes croissantes et les poursuites, il se voit contraint de fermer Tiger Asia et de repartir de zéro.
Mis à terre, mais loin d’être hors-jeu, Bill Hwang rebondit avec ténacité. Grâce aux quelque 200 millions $ (environ 170 M €) qu’il lui reste de l’aventure Tiger Asia, il lance un nouveau fonds, baptisé Archegos Capital Management. Un nom riche de sens, car Archegos signifie en grec « prince » ou « chef ». Un terme également utilisé dans la Bible pour désigner le Christ. Fervent chrétien, Bill Hwang y fait peut-être là un clin d’œil à sa foi.
Comme le souligne le New York Times, Archegos ressemble à un fonds spéculatif classique, à une différence près. L’ensemble des actifs provient uniquement de la fortune personnelle de Bill Hwang et de celle de certains membres de sa famille. C’est ce qu’on appelle un « family office », une structure généralement utilisée par les familles très fortunées pour gérer leur patrimoine, sans fonds extérieurs.
Et c’est là toute la subtilité : contrairement aux fonds spéculatifs traditionnels, particulièrement encadrés avec des réglementations scrupuleuses, les family offices ne sont pas soumis aux mêmes contrôles. Ils échappent ainsi à la loi américaine sur l’enregistrement des conseillers financiers, pourtant conçue pour garantir la transparence, la responsabilité et la protection des investisseurs.
Aux États-Unis, la réglementation en matière d’emprunt est stricte pour les investisseurs individuels. Mais les family offices bénéficient d’une liberté quasi totale : ils ont carte blanche pour recourir massivement à l’effet de levier.
Cette faille du système devient d’autant plus problématique qu’elle s’ajoute au mode opératoire de Bill Hwang. Trader audacieux, il n’hésite pas à prendre de très gros risques, investissant principalement dans des actions via une série de contrats complexes passés avec des banques et des courtiers, appelés les « total return swaps ».
En d’autres termes, ces contrats établis sur une durée prédéterminée permettent à une partie (ici Bill Hwang, à travers son family office Archegos) de bénéficier du rendement total, gains comme pertes, d'un actif sans en devenir propriétaire. Et ce, en échange de paiements périodiques à l’autre partie (les banques ou courtiers concernés).
Ces instruments financiers, pourtant légaux, sont très controversés. Ils permettent à Bill Hwang de miser sur l’évolution de certaines actions sans les posséder réellement, et pour un coût initial très limité. Ils lui permettent aussi de bâtir d’immenses positions tout en restant dans l’ombre, puisque les titres ne sont pas enregistrés à son nom.
Dans la continuité de Tiger Asia, le nouveau fonds de Bill Hwang se concentre sur des actions américaines et asiatiques. Impressionnant par ses rendements remarquables et sa croissance foudroyante, Archegos séduit les grandes banques. Si celles-ci se montrent au départ prudentes, elles finissent par lui accorder des prêts (très) généreux.
En 2016, Archegos accumule déjà 3,9 milliards $ (environ 4,5 Md € aujourd’hui) d’actifs nets. Un succès qui continuera de grandir puisque son portefeuille atteindra les 36 milliards $ (environ 34 Md €).
Parmi ses principaux partenaires financiers, Archegos compte les banques Credit Suisse, Goldman Sachs, Morgan Stanley, Wells Fargo, ainsi que la plus grande banque d’investissement du Japon, Nomura. Ces institutions se taillent la part du lion et fournissent la majeure partie du capital mobilisé par le fonds de Bill Hwang.
En plus de miser sur des swaps, Archegos déploie une autre stratégie extrêmement périlleuse que Bill Hwang avait perfectionnée à l’époque de Tiger Asia : placer des paris démesurés sur une poignée d’actions, avec de l’argent emprunté.
En mars 2020, son instinct de joueur chevronné s’emballe. Retranché dans son appartement de Manhattan pendant le premier confinement de la pandémie de Covid-19, il commence à utiliser l’effet de levier à un rythme effréné. Il constitue d’énormes positions sur quelques titres triés sur le volet, dont le géant américain des médias ViacomCBS. Résultat : le cours de l’action, qui n’était alors que de 13 $, s’envole.
Son excès de zèle porte ses fruits. En janvier 2021, l’action ViacomCBS explose en bourse : elle s’échange autour de 50 $, soit plus du triple de sa valeur de mars 2020.
À la fin mars 2021, sa frénésie d’achats, menée dans le plus grand secret, propulse le titre encore plus haut : l’action franchit la barre symbolique des 100 $. Ses performances hors norme épatent Wall Street.
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À ce stade, la position de Bill Hwang dans ViacomCBS a gonflé à tel point qu’elle s’élève à plus de 20 milliards $ (environ 17 Md €), soit l’équivalent de 50 % de l’entreprise. Concrètement, Archegos devient leur plus important actionnaire.
Pourtant, les dirigeants de ViacomCBS ignorent totalement qui se cache derrière cette envolée boursière spectaculaire. Selon le journal LA Times, ils pensent qu’un certain nombre de parties sont impliquées, comme le laisse supposer la stratégie des swaps de Bill Hwang.
Grisés par la flambée sensationnelle du titre, les dirigeants de ViacomCBS estiment pouvoir en profiter pour lever une somme considérable. Ils décident de vendre de nouvelles actions au public.
L’entreprise annonce l’opération le 22 mars 2021, avec l’objectif de collecter environ 3 milliards $ (près de 2,5 Md €) et de financer ainsi le développement de ses services de streaming en plein essor.
Selon le New York Times, Bill Hwang devait être l’investisseur principal. Il prévoyait d’acheter pour plusieurs centaines de millions de dollars d’actions, avant de faire volte-face quelques jours plus tard. Ce revirement s’explique probablement par l’effondrement en Bourse de deux autres titres sur lesquels il avait misé gros : le fabricant chinois de cigarettes électroniques RLX et la société d’éducation GSX.
En conséquence, ViacomCBS ne parvient à lever que 2,6 milliards $ (environ 2,2 Md €), bien en deçà de l’objectif initial de 3 milliards.
Face à cette déception, les investisseurs commencent à se débarrasser de leurs actions ViacomCBS, ce qui entraîne une chute brutale du cours.
Cette dégringolade déclenche des appels de marge de la part des créanciers d’Archegos, dont Goldman Sachs et Credit Suisse. Ces appels consistent en des demandes de capitaux supplémentaires pour couvrir l’exposition accrue liée aux swaps.
Archegos avait pris des paris incommensurables et recouru à un effet de levier monumental. Le family office s’était beaucoup trop endetté, au point de perdre sa mise de façon épique. Incapable de réunir la liquidité nécessaire pour satisfaire ses prêteurs, le fonds se retrouve complètement dépassé par ses engagements, qui auraient dépassé les 100 milliards $ (environ 85 Md €).
Les unes après les autres, les banques commencent à liquider leurs avoirs Archegos. Le 25 mars 2021, Morgan Stanley donne le coup d’envoi : la banque vend 5 milliards $ (environ 4 Md €) de ses actifs avec une décote, d’après Bloomberg. Les autres créanciers ne tardent pas à lui emboîter le pas.
Cette vente en catastrophe achève Archegos. Morgan Stanley, Goldman Sachs et les premières banques à vendre limitent les dégâts financiers.
Credit Suisse et Nomura, qui ont trop longtemps hésité, n’ont pas cette chance. Durement touchée, Credit Suisse encaisse la plus grosse perte : 4,7 milliards $ (près de 3,9 Md €). Nomura accuse quant à elle un déficit de 2 milliards $ (environ 1,7 Md €).
Credit Suisse et Nomura voient toutes deux le cours de leur action chuter. Mais c’est Credit Suisse qui est la plus sévèrement frappée : la banque écope en plus d’une amende de plus d’un demi-milliard de dollars par les autorités américaines et européennes pour son manque de surveillance dans l’affaire Archegos.
Fin mars 2021, le cours de l’action de la multinationale suisse dégringole alors qu’il ne cessait de progresser depuis plusieurs mois. Credit Suisse ne s’en relèvera jamais et sa situation ne cessera de se détériorer par la suite.
Ce fiasco aurait d’ailleurs déclenché une série d’événements qui mèneront à la faillite de Credit Suisse en mars 2023 et à son rachat par son concurrent UBS.
Bill Hwang a déjà amassé une fortune estimée à 20 milliards $ (environ 17 Md €) lorsque son empire s’écroule en mars 2021. Son patrimoine aurait même culminé à 30 milliards $ (près de 25 Md €).
Selon Bloomberg, il ne s’agissait pas d’une fortune ordinaire. Contrairement à la plupart des milliardaires, dont la richesse est concentrée dans l’immobilier, des investissements ou d’autres actifs de long terme, celle de Bill Hwang était presque entièrement constituée d’actifs liquides disponibles et facilement mobilisables. Et lorsque son fonds implose fin mars 2021, pratiquement tout disparaît en l’espace de 48 heures seulement.
Bloomberg indique qu’aucun individu n’avait jusqu’alors perdu autant d’argent aussi rapidement.
Homme pieux dans la vie privée et businessman téméraire dans la vie professionnelle, Bill Hwang est un paradoxe qui n’est pas sans rappeler Sam Bankman-Fried, l’ex-gourou des cryptomonnaies condamné pour fraude. Malgré ses paris financiers agressifs réalisés avec l’argent des autres, Bill Hwang mène une vie relativement modeste, non ostentatoire, et fait preuve d’une philanthropie extraordinaire.
Comme le rapporte le New York Times, Bill Hwang vit dans une « humble maison selon les standards de Wall Street » avec sa famille dans la banlieue du New Jersey. Il conduirait par ailleurs un SUV Hyundai, des plus ordinaires.
D’après Bloomberg, Bill Hwang avait coutume de dire qu’il partageait son temps entre ses trois grandes passions : sa famille, ses affaires et son association caritative, la Grace & Mercy Foundation.
Mais qu’est-ce que la Grace & Mercy Foundation ? Basée à New York, cette organisation à but non lucratif finance des lectures bibliques et des clubs de lecture religieux. En moins de dix ans, la fondation est parvenue à gérer un portefeuille de 500 millions $ (environ 430 M €) et a fait don de millions de dollars à diverses associations chrétiennes depuis sa création.
Si la dévotion de Bill Hwang peut sembler en contradiction avec son goût du risque en affaires, lui estime au contraire que sa foi profonde nourrit cette audace.
Selon Bloomberg, dans une vidéo réalisée en 2019 sur la Grace & Mercy Foundation, Bill Hwang affirme qu’il essaie d’investir « selon la parole de Dieu et la puissance du Saint-Esprit ». L’homme d’affaires intrépide ajoute : « C’est une façon d’investir sans peur. Je n’ai peur ni de la mort ni de l’argent ».
La débâcle d’Archegos attire rapidement l’attention de la SEC, qui, comme mentionné plus tôt, avait déjà eu affaire à Bill Hwang lorsqu’il dirigeait Tiger Asia.
L’autorité de régulation ouvre une enquête préliminaire sur l’effondrement du fonds dès la fin mars 2021. Le champ d’action s’élargit lorsqu’émergent des accusations selon lesquelles Archegos aurait mis en place « un vaste système de manipulation de marché ».
La SEC affirme que Bill Hwang a eu recours à des total return swaps pour « faire grimper artificiellement et de façon spectaculaire le cours des actions de plusieurs entreprises. Une pratique qui a incité d’autres investisseurs à acheter ces titres à des prix majorés ». Les autorités reprochent aussi à Bill Hwang et à ses complices d’avoir menti aux banques afin d’obtenir les milliards de dollars nécessaires à leur plan.
En avril 2022, le FBI arrête Bill Hwang, mais aussi Patrick Halligan, l’ancien directeur financier d’Archegos. Ils sont poursuivis pour racket en bande organisée, complot, fraude boursière et fraude électronique, avec Scott Becker, directeur des risques du fonds, et William Tomita, chef trader.
Ces derniers négocient et concluent un accord de plaidoyer, devenant les principaux témoins à charge… contre leur ancien patron et l’ex-directeur financier d’Archegos. Bill Hwang et Patrick Halligan plaident quant à eux non coupable face aux onze chefs d’accusation fédéraux retenus contre eux. Leur procès s’est ouvert le 13 mai 2024.
La défense de Bill Hwang devait faire valoir qu’il n’était pas responsable des pertes subies par les banques et qu’il n’avait pas manipulé le marché. Selon lui, aucune des transactions n’impliquait de tromperie flagrante. Mais lorsque Scott Becker intervient à la barre… coup de théâtre : il affirme qu’on lui avait demandé de mentir pour permettre à Bill Hwang de poursuivre ses opérations de trading.
Après avoir perdu sa fortune de plusieurs milliards de dollars, le trader déchu perd sa liberté. Le 10 juillet 2024, Bill Hwang est reconnu coupable de dix des onze chefs d’accusation, chacun passible d’une peine maximale de 20 ans de prison. Patrick Halligan est pour sa part reconnu coupable de fraude électronique, conspiration et fraude boursière.
Bill Hwang est finalement condamné à 18 ans de prison. Une peine qui aurait pu être bien plus sévère. Il encourait jusqu'à 200 ans de réclusion, ce qui l’aurait condamné à finir sa vie derrière les barreaux.
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